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L’entrepreneuriat sur les campus : le risque d’un nouveau conformisme ?

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L’équipe de « Pop Eye », projet de petites annonces en vidéo, incubée au sein de la « Blue Factory » de l’ESCP Europe, à Paris.

Ils sont jeunes, bien formés, enthousiastes et dynamiques. Ils rêvent de créer leur propre « business », de faire carrière à l’écart des grands groupes, de participer au renouveau de l’économie du pays, de résoudre les problèmes de la planète… Depuis quelques années, les créateurs d’entreprise occupent le devant de la scène, et bénéficient d’une sorte d’unanimité bienveillante. Le président de la République lui-même ne rêve-t-il pas de faire de la France une « start-up nation » ?

Grandes écoles et universités ont joué un rôle clé dans ce nouvel élan entrepreneurial. Il y a une dizaine d’années, la plupart des étudiants rêvaient d’intégrer un grand groupe, pour en gravir les échelons. Aujourd’hui, nombre d’entre eux sont tentés par l’aventure de la création d’entreprise. Beaucoup n’attendent même pas d’avoir décroché leur diplôme pour lancer leur start-up.

Les écoles de management, notamment, ont beaucoup misé sur l’entrepreneuriat étudiant. Parmi celles-ci, on citera HEC, avec son « Centre de l’entrepreneuriat », qui revendique plus 400 projets soutenus chaque année, et où un diplômé sur 5 lance désormais son entreprise, l’Edhec (qui a rejoint l’incubateur géant Station F, à Paris), l’Essec, qui déploie un arsenal complet pour accompagner les porteurs de projet (y compris des outils de financement), EM Lyon, traditionnellement en pointe sur la création d’entreprise, Skema, qui participe au développement d’incubateurs en Chine et au Brésil, Grenoble EM ou l’Essca, qui organisent chaque année des concours de projets, l’ESCP Europe et sa « Blue Factory », dispositif de formation et d’appui aux entrepreneurs (300 start-up accompagnées en moins de dix ans, dont les trois quarts déclarent avoir créé des emplois), le groupe ESC Troyes, très engagé sur le sujet ou encore l’EM Normandie, avec son Institut de l’Innovation et du développement de l’entrepreneuriat (InsIDE)… Côté écoles d’ingénieurs, les Mines-ParisTech sont en pointe sur le sujet, tout comme l’IMT Atlantique ou les Mines d’Alès (avec son « Challenge créativité »)… Sans oublier Polytechnique, qui a effectué un virage spectaculaire en direction de la création d’entreprise, et a notamment conclu un important accord avec Stanford sur le sujet. Quant aux universités, elles s’y mettent également. Certaines affichent même quelques belles réussites, à l’instar de Sorbonne Université en matière de création d’entreprises de technologie et de « medtech ». 

Le campus de Skema à Suzhou, en Chine. L’école y soutient le développement d’un incubateur, et s’implique dans le mouvement en faveur de l’entrepreneuriat local.

Tout cela est bel et bon, et l’on ne peut que se réjouir de ce puissant courant de dynamisme entrepreneurial chez les étudiants et les jeunes diplômés.

Il faut pourtant y regarder de plus près. Car la réalité est peut-être un peu moins reluisante qu’escompté. Le bouillonnement actuel comporte en effet quelques zones d’ombre.

D’abord, le risque existe d’un certain conformisme en la matière. Nombre de jeunes diplômés et de créateurs potentiels se lancent tout simplement parce que l’entrepreneuriat est « tendance ». Parce que c’est devenu un créneau porteur. Devant les recruteurs ou face aux jurys des concours d’entrée dans les écoles, il est désormais de bon ton de se présenter comme un futur créateur et un entrepreneur en herbe. Sans compter que la réussite de quelques-uns a donné des ailes à beaucoup d’autres, attirés par l’espoir d’une ascension facile – et parfois de gains rapides.

Conformisme encore, la multiplication des projets très proches les uns des autres, sur quelques domaines spécifiques, notamment autour du numérique : on ne compte plus les projets de livraison de pizzas ou de repas à domicile, de réservation de VTC et d’aide à la mobilité urbaine, de financement participatif… Hélas, ces créneaux sont déjà occupés par des firmes qui ont désormais pignon sur rue, et n’ont pas l’intention de laisser la place facilement. Et la plupart de ces projets sont voués à péricliter rapidement. Ou à se contenter d’un micro-marché local.

Sylvain Bureau, directeur de la chaire entrepreneuriat d’ESCP Europe, l’admet : « Dans les incubateurs, beaucoup de créateurs ont le même profil, adoptent les mêmes comportements et affichent des idées similaires. Le clonage n’est pas loin. » Enfin, il faut pointer cette manie si répandue dans le monde des start-up, de recourir systématiquement à des noms à consonance anglo-saxonne pour baptiser les entreprises. Comme si la langue française ne faisait pas assez « chic ».

Ce conformisme n’est d’ailleurs pas la seule réserve que l’on peut formuler. Il y a aussi le fait que, autour des porteurs de projet, l’argent coule désormais à flots – trop, peut-être : entre les multiples concours de création d’entreprise, parfois assez bien dotés, les soutiens d’organismes publics, souvent empilés, les aides diverses et variées, sans oublier les banques et autres business angels, quiconque, aujourd’hui, est capable de présenter un projet à peu près crédible n’aura guère de mal à obtenir un financement, au moins pour démarrer. Tout cela pour des résultats qui ne sont pas (pas encore ?) à la hauteur des espérances. Certains esprits critiques assurent même que l’entrepreneuriat, aujourd’hui, crée d’abord des postes d’enseignants et des travaux de recherche, plus que des emplois et de la richesse. Et s’il est vrai que nombre d’idées de créateurs paraissent séduisantes sur le papier, on peine, pour l’heure, à identifier, à côté d’un Critéo ou d’un Blablacar, les vraies réussites, notamment à l’international, et plus encore les futures « licornes », ces start-up valorisées plus d’un milliard de dollars. Philippe Mustar, professeur à l’Ecole des Mines-ParisTech, le reconnaît d’ailleurs : « Beaucoup de porteurs de projet manquent d’ambition. »

Ajoutons que, contrairement à un mythe assez répandu, le monde des start-up n’est pas toujours aussi sympathique et bienveillant qu’on le dit parfois. Les horaires de travail à rallonge, les pratiques sociales d’un autre âge, les hiérarchies verticales y sont monnaie courante. Bref, loin de celui des Bisounours, le petit monde des start-up n’est parfois guère plus emballant que celui de l’ancienne économie. Un essai récent de Mathilde Ramadier (1) dénonce d’ailleurs avec force ces travers du management dans les start-up.

Le campus de l’IMT Atlantique à Nantes. L’école compte trois incubateurs, à Nantes, Rennes et Brest.

Pour autant, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Que la vogue actuelle de l’entrepreneuriat débouche sur quelques excès et quelques dérives, c’est humain. Mais cette vogue reste bien plus porteuse d’espoirs que l’engouement traditionnel, à la sortie des écoles et des universités, pour les grands groupes – voire la ruée sur les emplois garantis à vie de la fonction publique. Sans compter que l’entrepreneuriat constitue un puissant aiguillon pour l’enseignement supérieur et pour l’ensemble de la société. Il faut donc continuer de se réjouir de l’essor actuel de la création d’entreprise sur les campus, et le soutenir. Quitte à en pointer les excès – pour tenter de les corriger.

(1) « Bienvenue dans le nouveau monde, comment j’ai survécu à la coolitude des start-ups ». Editions Premier Parallèle. 160 pages.


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